11 octobre, 2023

CINQUANTE ANS APRÈS, NOUVELLE ARRESTATION POUR LE MEURTRE DE VICTOR JARA

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Cinquante ans après, nouvelle arrestation pour le meurtre de Victor Jara / Membre du Parti communiste chilien et fervent partisan du président Salvador Allende, Victor Jara, icône de la chanson protestataire dans son pays et dans toute l’Amérique latine, est l’une des figures martyres du coup d’État de Pinochet. Il se trouvait parmi les prisonniers transférés au stade qui porte aujourd’hui son nom.
Il y a été interrogé, torturé, tué et son corps retrouvé criblé de 44 balles. Il aura fallu attendre cinquante ans pour que sept anciens militaires soient définitivement condamnés, en août dernier, pour l’enlèvement, la torture et le meurtre de l’artiste. Depuis ce 10 octobre, un nouveau nom s’ajoute à la liste. Pedro Pablo Barrientos, lui aussi ancien militaire chilien, est détenu par les services d’immigration américains à Deltona, en Floride.
UNE AFFICHE AVEC UNE BORDURE ROUGE ET UNE PHOTO EN NOIR ET BLANC DE VICTOR JARA, 
 AVEC LES MOTS « VERDAD Y JUSTICIA », LE NOM COMPLET DE M. JARA ET « EJECUTADO POLÍTICO »,
EST ACCROCHÉE À UN POTEAU DANS UN COIN DE VERDURE. D'AUTRES AFFICHES SONT MONTÉES
DE LA MÊME MANIÈRE DE CHAQUE CÔTÉ. UNE AFFICHE DE VICTOR JARA, SURNOMMÉ
LE « BOB DYLAN DE L’AMÉRIQUE DU SUD », LORS D’UN MÉMORIAL L’ANNÉE DERNIÈRE.
PHOTO JAVIER TORRES/AGENCE FRANCE-PRESSE
Il devrait être extradé au Chili où la justice le réclame depuis 2013.  « Il devra désormais y répondre à des accusations pour son implication dans la torture et les exécutions extrajudiciaires de citoyens chiliens », ont déclaré les autorités du département américain de la Sécurité intérieure.

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AU CHILI, LES ASSASSINS DU CHANTEUR VICTOR JARA CONDAMNÉS APRÈS UN DEMI-SIÈCLE D’IMPUNITÉ

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LORS DES FUNÉRAILLES DU CHANTEUR CHILIEN VICTOR JARA,
À SANTIAGO, LE 5 DÉCEMBRE 2009, ORGANISÉES SIX MOIS APRÈS
L’EXHUMATION DE SON CORPS ET TRENTE-SIX ANS APRÈS SA MORT.
PHOTO CLAUDIO SANTANA / AFP

Un des sept militaires rattrapés par la justice s’est suicidé mardi 29 août, le lendemain du verdict de la Cour suprême, alors que la police était venue l’arrêter à son domicile./ Il aura fallu attendre cinquante ans pour que les assassins du chanteur et compositeur Victor Jara, tué au lendemain du coup d’Etat du général Augusto Pinochet, en 1973, soient définitivement reconnus coupables par la justice chilienne. Lundi 28 août, la Cour suprême a confirmé les peines – prononcées en première instance en 2018 puis confirmées en appel en 2021 – allant de 8 à 25 ans de prison contre sept anciens militaires pour l’enlèvement, la torture et le meurtre de l’artiste. [« Un bourreau ne se rachète pas en se suicidant, mais c'est déjà quelque chose »/ Mario Benedetti ]

Par Angeline Montoya

Temps de Lecture 4 min.

LITTRÉ QUIROGA CARVAJAL, DIRECTEUR
GÉNÉRAL DES PRISONS SOUS LE
GOUVERNEMENT DE SALVADOR ALLENDE.

Agés de 73 à 85 ans et libres jusqu’à cette ultime décision, les sept militaires ont également été condamnés pour le meurtre du directeur général des prisons et militant communiste Littré Quiroga, arrêté en même temps que Victor Jara. Mais seuls six d’entre eux effectueront leur peine : mardi 29 août, alors qu’il venait d’ouvrir la porte de son domicile aux policiers venus l’arrêter, l’ancien brigadier Hernan Chacon Soto, 86 ans, condamné la veille à 25 ans de prison, s’est tué avec une arme à feu.

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Un suicide évoqué mardi par le président chilien, Gabriel Boric, lors des obsèques d’un dirigeant historique du Parti communiste, Guillermo Teillier – mort des suites d’un Covid long. « Aujourd’hui, alors que nous sommes sur le point de commémorer les 50 ans [du coup d’Etat], d’autres meurent de manière lâche pour ne pas affronter la justice », a déclaré le chef d’Etat à la presse.

Battu à mort

L’assassinat de Victor Jara a été l’un des plus symboliques de la dictature (1973-1990), qui a fait 3 200 victimes – morts et disparus. Presque 40 000 Chiliens ont été victimes de tortures pendant cette période sombre. Trente-trois ans après la fin de la dictature, le président Boric a dévoilé mercredi 30 août un Plan national de recherche de la vérité et de la justice, pour faire la lumière sur le sort des quelque 1 200 personnes toujours disparues. Regrettant que la justice pour Victor Jara ne soit arrivé que la veille, il a affirmé lors d’une cérémonie que « la seule possibilité de construire un futur plus libre et respectueux de la vie et de la dignité humaine, c’est de connaître toute la vérité ».

Membre du Parti communiste, fervent partisan de l’Unité populaire – la coalition du président Salvador Allende élu en 1970 et renversé le 11 septembre 1973 par un putsch soutenu par Washington –, Victor Jara, âgé de 40 ans au moment de sa mort, était devenu une icône de la chanson protestataire dans son pays et dans toute l’Amérique latine.

Ses textes pacifistes et engagés, comme Le Droit de vivre en paix ou Prière à un laboureur, s’inspiraient de la tradition populaire et rendaient hommage aux classes défavorisées et en particulier au monde paysan, dont il était issu.

Victor Jara a été arrêté le 12 septembre 1973 sur le campus de l’Université technique de l’Etat, où il devait se produire la veille dans le cadre d’une exposition sur les dangers du fascisme. Emmené avec 5 000 autres prisonniers politiques à l’Estadio Chile, un stade de sport de la capitale transformé en centre de détention, il a été reconnu par des soldats et séparé du reste des détenus. Puis, il a été méthodiquement battu, avec acharnement, à coups de poing, de pied ou de crosse de fusil, en particulier sur son visage et sur ses mains. « On va voir si tu peux jouer de la guitare, maintenant, communiste de merde ! », lui aurait crié l’un de ses tortionnaires. Victor Jara, lui, « souriait, il souriait toujours, il avait un visage souriant, et ça rendait le facho encore plus fou », a témoigné des années plus tard un autre prisonnier, l’avocat Boris Navia, arrêté en même temps que Victor Jara.

Les corps sans vie du chanteur et de Littré Quiroga ont été jetés le 16 septembre dans un terrain vague près du cimetière métropolitain. Jara a été identifié par des passants, qui ont alerté son épouse, une danseuse et chorégraphe britannique, Joan Turner-Jara.

« Je suis entrée dans la morgue, la salle était pleine de corps nus, de cadavres empilés, nous racontait-elle lors d’une rencontre à Santiago il y a quelques années. Des corps de personnes jeunes. C’était une horreur. C’était l’enfer. Au deuxième étage, dans un couloir rempli de corps, j’ai vu Victor. Il avait des trous de mitraillette, les mains en sang, une blessure au visage et à la tête. Il était identifié comme “NN” : inconnu. On a voulu le faire disparaître, mais j’ai eu la chance de pouvoir le reconnaître. »

Après cela, se souvient celle qui a aujourd’hui 96 ans, « il a fallu le dire à ses filles », Manuela, 12 ans, fille d’un premier mariage de Joan mais élevée par Victor comme sa propre enfant, et Amanda, 8 ans. Joan Turner-Jara a alors enterré son mari de manière quasi clandestine. En décembre 2009, la justice a ordonné l’exhumation du corps. L’autopsie révélera cinquante-six fractures osseuses et quarante-quatre impacts de balles. Victor Jara a ensuite pu être dignement enterré au cours d’une cérémonie qui a rassemblé des milliers de Chiliens et en présence de la présidente de l’époque, Michelle Bachelet.

Possible extradition des États-Unis

C’est donc deux semaines seulement avant la commémoration des 50 ans du coup d’Etat – et de l’enlèvement de son mari – que Joan Turner-Jara a obtenu justice. Elle avait porté plainte en 1978, mais l’affaire n’avait été rouverte et portée devant les tribunaux qu’après l’arrestation d’Augusto Pinochet à Londres en 1998, et grâce à l’opiniâtreté de l’avocat de la famille, Nelson Caucoto.

« Le motif principal des agressions a été [l’]activité artistique, culturelle et politique [de Victor Jara], étroitement liée au gouvernement qui venait d’être renversé », ont écrit les magistrats de la Cour suprême dans leur verdict unanime contre les sept militaires.

Un huitième accusé, Pedro Barrientos, se trouve aux Etats-Unis, où il a fui en 1990 au retour de la démocratie au Chili, et où il a obtenu la nationalité américaine grâce à un mariage. En 2016, un tribunal de Floride l’avait reconnu coupable de l’assassinat du chanteur-compositeur et condamné à payer 28 millions de dollars à sa veuve. En juillet dernier, la justice américaine a révoqué sa naturalisation, au motif qu’il l’avait obtenue en mentant sur son passé et en omettant de déclarer qu’il avait participé à des crimes. Cette décision doit ouvrir la porte à son extradition, espère M. Caucoto.

En 1966, Victor Jara avait composé La Chanson du soldat : « Soldat, ne tire pas sur moi, soldat, je sais que ta main tremble, soldat, ne tire pas sur moi », chantait-il alors de manière prémonitoire. Quelques heures avant d’être exécuté, il a réussi à griffonner un dernier poème, connu sous les titres Somos cinco mil (« nous sommes cinq mille ») ou Estadio Chile. « Comme le visage du fascisme fait peur ! », s’y étonnait-il. En 2003, l’Estadio Chile a été rebaptisé Estadio Victor-Jara.

Angeline Montoya

Angeline Montoya

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