06 juillet, 2018

LE CHILI CONDAMNE ENFIN LES ASSASSINS DU CHANTEUR VÍCTOR JARA


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Neuf militaires sont reconnus coupables d'avoir torturé et tué l'artiste au moment du coup d'Etat de Pinochet, en 1973. Reste un lieutenant réfugié aux Etats-Unis, dont la demande d'extradition traîne depuis 2014.
Le Chili condamne enfin les assassins du chanteur Víctor Jara
François-Xavier Gomez
VÍCTOR JARA À PARIS 1961 
Cinq ans et demi après leur inculpation, neuf militaires chiliens ont été condamnés mardi à Santiago pour la mort du chanteur Víctor Jara, le 16 septembre 1973, dans les jours qui suivirent le coup d’État du général Augusto Pinochet. Huit écopent de 18 ans de détention, le dernier de 5 ans pour complicité. Il aura donc fallu 45 ans pour qu’aboutisse le procès de l’assassinat de celui qui fut, avec le président Salvador Allende, la victime la plus célèbre du putsch militaire. Les procédures judiciaires ne sont pas closes pour autant. Les condamnés peuvent faire appel, et le cas du dixième homme, celui qui a tiré le coup de grâce dans la nuque de Jara, reste en suspens : il a fui aux Etats-Unis en 1989, et le Chili le réclame depuis 2014.
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Mains broyées

 PHOTOMONTAGE
LITTRÉ QUIROGA ET VÍCTOR JARA
Proche du Parti communiste et engagé aux côtés de l’Unité populaire, le rassemblement des gauches qui porta au pouvoir Salvador Allende, Víctor Jara, 40 ans, fut arrêté le jour même du coup d’État, le 11 septembre, alors qu’il donnait un cours de théâtre à l’université technique de Santiago. Enfermé au stade Chile, il est supplicié plusieurs jours de suite. Les militaires lui broient les mains à coups de crosses pour lui faire passer l’envie de jouer de la guitare. Il est finalement abattu, et son corps abandonné dans un terrain vague, en compagnie de celui du directeur des prisons d’Allende, Littré Quiroga. Sa femme Joan Turner Jara, une Anglaise installée au Chili pour étudier les danses folkloriques, récupère le corps et l’enterre clandestinement. En 2009, le corps est exhumé et enfin autopsié. Il a gardé les traces de 44 balles, dont le coup de grâce. Et son enterrement officiel peut enfin avoir lieu.


Dès qu’elle est connue, la mort de Víctor Jara devient le symbole de la sanglante répression de Pinochet contre son peuple. Dans les meetings de solidarité, on reprend sa chanson Te recuerdo Amanda (Je me souviens de toi, Amanda), histoire d’amour sur fond d’usine en grève. Le nom de Víctor Jara est donné à des rues, à des centres culturels. Un biopic est tourné en Allemagne de l’Est, avec dans le rôle de Jara le mystérieux rockeur-espion américain Dean Reed. Bruce Springteen ou Bono, en concert au Chili, n’ont pas manqué de lui rendre hommage. En France, Philippe Cohen-Solal, cofondateur de Gotan Project, lui a consacré un émouvant hommage: le titre 44 Tiros, rare exemple de rencontre entre l’électronique et de la chanson engagée.

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Planqué en Floride

Les neuf tortionnaires ont été condamnés pour les assassinats de Víctor Jara et de Littré, et devront verser 1,8 million d’euros aux familles des victimes. Il manquait pourtant sur le banc des accusés l’homme considéré comme le chef du groupe. Le lieutenant Pedro Barrientos avait fui le Chili en 1989, un an avant que Pinochet ne quitte le pouvoir. Installé en Floride, il avait acquis la nationalité américaine par mariage. C’est à Deltona, où il est concessionnaire automobile, que le débusque une équipe de télévision chilienne en 2012. Il affirmait alors n’avoir jamais mis les pieds au stade Chile, ni avoir croisé Jara. Affirmations contredites par de nombreux témoins, dont des soldats qui torturaient sous ses ordres. En 2014, la justice américaine est saisie d’une demande d’extradition du gouvernement chilien, sur laquelle elle n’a toujours pas statué. Et en juin 2016, un tribunal fédéral d’Orlando (Floride) le déclarait coupable de la mort du chanteur, le condamnant à payer 28 millions de dollars de dédommagement à la famille du défunt. Aujourd’hui l’ex-lieutenant est toujours en liberté. 

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